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Le Droit au Procès Criminel en Français en Ontario

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Le procès en français est un droit et non un privilège

Il va sans dire que le fait d’être assujetti à une poursuite criminelle peut être accablant. En plus du stress qui résulte invariablement d’une accusation criminelle, il y a d’innombrables procédures et de documents rédigés en jargon juridique qui peuvent sembler incompréhensibles. Il est donc tout à fait normal de vouloir à tout le moins interagir avec les tribunaux dans la langue officielle avec laquelle vous avez le plus de facilité.

Si vous êtes francophone en Ontario et que vous avez déjà comparu en cour, force est de constater que la majorité des procédures se déroulent en anglais. Or, le fait de vous défendre contre une accusation criminelle en Français n’est pas un privilège, mais bien un droit, protégé tant par la Charte Canadienne des Droits et Libertés que par le Code criminel.

Comme tout droit, celui-ci ne devrait pas être exercé de façon délibérément capricieuse ou dilatoire, mais si vous avez un besoin, voir un désir réel et sincère qu’on vous adresse en français, vous pouvez l’exiger, et ce, même si vous comprenez et parlez l’anglais et même si votre langue maternelle est une langue autre que le français ou l’anglais.

En effet, la Cour Suprême du Canada s’est prononcé très clairement en faveur du droit au procès dans la langue officielle de son choix sans égards aux coûts et aux inconvénients administratifs qui pourraient en résulté, précisant que « l'existence de droit linguistiques exige que le gouvernement satisfasse aux dispositions de la loi en maintenant une infrastructure institutionnelle adéquate et en fournissant des services dans les deux langues officielles de façon égale »[1].

La différence entre le droit au procès en français et le droit à un interprète

Quoique le droit à l’interprète est lui aussi garanti par la Charte Canadienne, il s’agit, pour des raisons de nécessité logistique, d’un droit plus restreint que le droit au procès dans la langue officielle de son choix. Il serait en effet beaucoup trop onéreux et couteux pour un accusé ne parlant que le swahili ou le tamoul, par exemple, d’exiger que l’entièreté des procédures se déroule dans sa langue maternelle. Alors que le droit au procès dans la langue officielle de son choix a notamment pour objet d’entériner l’égalité de l’anglais et du français comme langues officielles des tribunaux canadiens, le droit à l’interprète vise plutôt à assurer la compréhension par l’accusé du déroulement des procédures.

Par ailleurs, si un témoin ne peut s’exprimer en français, vous aurez droit à ce que son témoignage vous soit traduit. Il s’agit là d’un chevauchement entre le droit au procès dans la langue officielle de son choix et le droit à l’assistance d’un interprète. De surcroit, en plus d’avoir droit à un interprète pour tout témoignage dans une langue autre que le français, le fait d’exercer votre droit à un procès en français vous donnera accès à un bon nombre de droits procéduraux qui vous faciliteront la tâche de vous défendre que nous aborderons à l’instant.

Quel est l’étendu du droit au procès en français?

Quoique le droit à un procès dans la langue officielle de son choix soit interprété de façon large et libérale par les tribunaux[2], ce n’est pas un droit absolu. Lorsque l’accusé choisi de subir son procès en français, il aura les droits suivants, sujet aux limites indiquées le cas échéant :

·      La tenue d’une enquête préliminaire[3] et d’un procès en français. Cela signifie que tous les acteurs ayant un rôle à jouer devant la cour doivent pouvoir s’acquitter de leurs tâches en français, incluant :

o   Le juge ou le juge de paix,

o   Le procureur,

o   Les membres du jury (dans un procès devant juge et jury),

o   Le sténographe

·      S’il n’y a pas suffisamment de jurés qui parlent le français pour former le jury : vous aurez le droit au transfert du procès vers une circonscription territorial en Ontario où il est possible de trouver suffisamment de jurés qui parlent le français pour former un jury;

·      L’utilisation du français dans les documents afférents au procès. Cela inclus notamment le droit de recevoir la dénonciation et les actes d’accusations (documents indiquant les accusations portées contre l’accusé).  

o   MAIS ATTENTION, un tribunal n’aura pas à ordonner la traduction d’un document mis en preuve si le droit de l’accusé à une défense pleine et entière n’est pas affecté du fait que celui-ci n’ait pas été traduit[4];

·      Le droit à un interprète. Tell que susmentionné, cela devient particulièrement pertinent lorsqu’un témoin ne peut s’exprimer en français. Dans ce cas, l’accusé a droit à ce que le témoignage lui soit traduit par un interprète;

·      Une transcription de toute traduction verbale de l’anglais vers le français fait à l’enquête préliminaire et au procès[5];   

·      Le droit à une rédigé en français, tant à l’enquête préliminaire qu’au procès.

Quand le droit devrait-il être revendiqué? 

Lors de votre première comparution en cour, le juge ou le juge de paix devra vous informer de votre droit de choisir la langue officielle dans laquelle vous souhaiter subir votre procès. Or, il est important de garder à l’esprit que les tribunaux sont souvent surchargés et que les juges peuvent parfois oublier de vous poser la question, surtout dans les régions de la province ou le français est peu parlé.

Par conséquent, même si le juge vous adresse la parole en anglais et que vous le comprenez, n’hésitez pas à indiquer dès votre première date de cour que vous souhaitez procéder en français si c’est le cas. Mais sachez aussi que vous n’êtes pas obligé de faire votre choix quant à la langue de votre procès immédiatement : le juge qui devra vous indiquer le délai dans lequel vous aurez à faire votre demande de procès en français.

Les délais varient en fonction des types d’accusations, mais en général, la demande devra être fait avant la date à laquelle vous (ou votre avocat) fixez votre date de procès. S’il y a une enquête préliminaire, vous n’aurez pas à faire votre demande jusqu’à ce vous soyez renvoyé à subir votre procès, à la conclusion de l’enquête préliminaire. Toutefois, il est évidement préférable de faire la demande avant la tenue de l’enquête préliminaire si vous souhaitez que celle-ci soit tenue en français.

 Dans tous les cas, le juge détient une grande marge de manœuvre pour ordonner la tenue d’un procès en français s’il est dans les meilleurs intérêts de la justice même si le délai pour en faire la demande est échu. Cela dit, il est important de ne pas tarder, car un juge pourra refuser votre demande si celle-ci est faite à l’extérieure du délai applicable sans raison valable, alors qu’il sera tenu d’ordonner que le procès soit en français si la demande est faite à l’intérieure du délai.

 Quoique le choix de subir son procès en français puissent sembler une question très simple, surtout si vous ne parlez pas du tout l’anglais, il y a un nombre de facteurs dont il faut tenir compte, par exemple : les délais applicables, la langue dans laquelle la majorité de la preuve sera présenté et, le cas échéant, la nécessité de tenir votre procès dans une autre région de la province. Par conséquent, afin de vous assurer le meilleur résultat possible face à des accusations criminelles en Ontario, il vaut mieux retenir les services d’un avocat bilingue qui pourra vous conseiller en français et, si nécessaire, défendre vos intérêts devant les tribunaux en anglais.

 De plus, votre choix quant à la langue dans laquelle vous désirez subir votre procès pourrait avoir une incidence sur l’admissibilité de certains éléments de preuves si ceux-ci ne sont pas traduits. Il peut donc y avoir des considérations stratégiques qui entrent en ligne de compte, d’où l’importance de consulter un avocat qui sera en mesure de bien vous expliquer quel impact votre choix pourrait avoir sur votre défense.

 Points à retenir :

Vous avez le droit à un procès criminel en français où que vous soyez en Ontario (de même qu’au Canada)

Ce droit inclut notamment :

o   La tenue des audiences en français;

o   Un procureur, juge et jury qui comprennent et qui peuvent s’exprimer en français;

o   Le droit de soumettre vos documents en français et, au minimum, de recevoir une traduction des parties importantes de certains actes de procédures;

o   Une traduction des documents qui affectent votre capacité de soulevé une défense pleine et entière;

MAIS ATTENTION! Ce droit N’INCLUT PAS :

o   Le droit à traduction de tout document utilisé dans les procédures contre vous. Pour avoir droit à ce qu’un document soit traduit, celui-ci doit avoir incidence sur votre défense.

Il y a des délais importants à respecter afin de pouvoir vous défendre en français auxquels l’on ne peut déroger sans raison valable.

Seul un avocat bilingue et spécialisé en droit criminel possède les connaissances requises pour assurer que votre droit de vous défendre en français soit pleinement respecté et vous donner les meilleures chances de succès face à des accusations criminelles.

                                                                                                                       

[1] R. c. Beaulac[1999] 1 R.C.S. 768, au para. 34.

[2] R. c. Munkonda, [2015] O.J. No. 2284.

[3] L’enquête préliminaire est une audience tenue dans des cas d’infractions plus graves pour permettre à un juge de déterminer s’il y a suffisamment de preuves pour justifier la tenue d’un procès.

[4] R. c. Rodrigue, [1994] Y.J. No. 113, para. 55.

[5] Les transcriptions des procédures seront particulièrement importante si vous portez votre décision en appel, car les tribunaux de deuxième instance se basent en grande partie sur celles-ci pour savoir se qui s’est passé au procès en première instance.

Stefan Peters